Page de garde La Guerre des Oranges.


 Premier vol !
Mon premier vol !

- A combien on est montées ?
Sonia m'a regardé en coin, souriant de son air terriblement inhumain.
- On était à 12,8 en hyperbolique, juste avant que vous ne perdiez conscience. Vous montez presque aussi haut que Corbeau, et plus haut que Croc, sans entraînement. Vous êtes réellement à part. Bienvenue dans le noir, Griffe. Il y a une salle de bains où vous pourrez nettoyer les dégâts.
- Je voudrais... Quels dégâts ?
- Inconscience en apesanteur. Ça pardonne rarement et il y a toujours des fuites, mais c'est prévu.
- Merde !
Le sens de l'humour d'une machine devait être purement logique, mais le rire de Sonia était purement amical.
- Sonia, tutoyez-moi, par pitié !
- Je ne tutoies que les pilotes. C'est une règle sociale.
- Je me demande pourquoi je discute avec une machine. Qu'attendons-nous ici ?
- Ça.
L'anneau était vaguement moins noir que le fond de l'espace, quelques étoiles l'entouraient. L'une d'elle clignota, éclipsée par une masse sombre toute proche. Un MAP s'approchait du transport. Le panneau de comm s'anima.
- Cargo, vous êtes qui ?
- Salut, Jik. Harpon et un pax.
Des points lumineux se sont allumés sur le pourtour de l'anneau. J'ai pu voir sa lente rotation. Le MAP a allumé ses plaques de signalisation et son éclairage intérieur. Sous la bulle de glassite, j'ai vu Jik, un homme qui ressemblait au sergent, tout bronzé comme toi. Il était torse nu.
- C'est bon. Jo, dégage ta visée, c'est Sonia qui ramène de la tonne. Combien tu pèses Harpon ?
- J'ai sept modules type 4 à environ 1300 tonnes pour l'anneau et cinquante gros-cubes. Faut les maper à l'atelier.
- Je m'en occuperais quand tu sera ammarée. Jo, allume le sas et la rampe. Il y a de la belette. Quatre points lumineux sont apparus sur l'anneau, et une mire de guidage s'est inscrite sur l'écran principal. Sonia était déjà en train de placer le cargo dans l'axe.
- De la belette ?
- C'est vous la belette. Jik vous a vue. Il prévient les autres de s'habiller un peu. Les marins vivent à poil la plupart du temps.
L'anneau grossissait et il ralentissait sa rotation. Je me sentais soulevée et un peu ballotée par les manoeuvres. C'était le moment où les équipages des vaisseaux de passagers sortaient les sacs à vomi. J'ai noté le coup d'oeil de Sonia.
- Ne t'en fais pas, je ne vais pas faire d'autres dégâts.
- Je ne suis pas inquiète. Regardez au delà de l'anneau, on voit l'atelier des Frelons.
Je voyais une masse noire, vaguement cubique, entourée de grappes d'objets indistincts. Des projecteurs se sont allumés, l'activité reprenait après l'interruption due à notre arrivée. L'anneau était maintenant arrêté, le cargo était juste en face du sas. Sonia a engagé le sas dans la rainure, les pinces ont croché les gros cylindres nickelés, je flottais dans les harnais.
- Venez, Griffe, on rejoint le quartier des pilotes, un peu de toilette et on cherchera un map pour aller à l'atelier. Dans une heure, vous serez aux commandes d'un Frelon, et je pourrais vous tutoyer.
J'ai déclipé mes deux tuyaux pour suivre Sonia dans le trou d'homme à l'arrière de la cabine. Au prix de quelques bleus aux hanches et aux coudes, j'ai retrouvé comment gérer la différence entre masse et poids. Dans l'étroit tube qui menait au sas, mes mollets m'ont trahis et je me suis retrouvée le nez collé à la ceinture de Sonia après avoir doublé au ralenti ses pieds, puis ses genoux et ses hanches.
- Nous pouvons passer ensemble. Ne vous servez pas de vos jambes, sauf pour freiner ou amortir les longues chutes.
- Je vais y arriver. C'est incroyable ce que tu es mince, j'ai peur de te blesser.
- Le titane est très solide. Pression, pression, pression, pression. Tout est égalisé. J'ouvre, vous refermerez tout à la main, vous savez le faire ?
- J'ai bien révisé, et j'ai suivi l'école des passagers...
L'air de l'anneau était chaud, il sentait l'huile et le déodorant, et aussi l'odeur caractéristique du carburant solide des missiles. J' ai refermé le sas.