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Les marcheurs célèbres : Stéfanie Klagget.
21 novembre T 9728 décembre T 984

Stéfanie Klagget est la première femme qui soit partie pour un voyage solien, et la seule qui en soit revenue. Elle est également un des rares marcheurs ayant pratiqué les régions polaires.
C'est la plupart du temps son portrait par LuH ("Dame triste à la dent de phoque-loup", collection H. G. Drecourt) qui illustre les articles sur les marcheurs de sexe féminin.
On ne sait pas grand chose d'elle, lorsqu'elle arrive à PK fin 972, elle se déclare «âgée de 48 ans, sans profession». Le bruit court aussitôt qu'elle était la maîtresse (parfois la soeur) de Klutter.
Cette rumeur est née du fait que Klagget a débarqué avec une balise 4-dim (prétendument héritée), et un conteneur d'équipement estampillé GEI Degret-Blanchard. On apprend incidemment qu'elle possède un diplôme de sociologie de cinquième cycle, et qu'elle a démissionné en 957 d'un poste administratif sur Keph-A. Plus rien ne peut être trouvé sur elle après cette date. Klagget est un nom souvent cité dans les récits parlant de la "Guerre des Oranges" (Keph-A, 957-958). Et c'est un accident de divergence sur l'étoile voisine Keph-B qui causa la mort de Klutter en juillet T 972.
La "Dame triste" ne démentira ni ne confirmera jamais et partira très vite dans le "vert".
Le résumé qui suit est tiré de son journal, publié à sa mort, en 1060 sur Té-ra.
Larguée dans le piémont glaciaire du continent Dzêta, elle partage la vie des rares soliens habitant cette région. Ce sont des mineurs qui troquent deux fois par an leurs produits contre ceux des régions agricoles de Êta. Ils rassemblent une caravane de polyacks* pour rejoindre une flotte de bateaux dans une baie de la Mer des Baleines, à l'ouest.
Alors qu'elle pense les accompagner, elle apprend que des chasseurs-pêcheurs vivent sur la banquise, à environ 1000 km de là vers l'est. Elle se procure un polyack dressé, simplement en troquant l'animal contre un dessin d'elle-même à cheval sur la bête, et rejoint la côte en 4 semaines. Elle suit le bord de la banquise et trouve les traces des chasseurs en quelques jours.
Elle s'intègre très bien au groupe qui vit sur les banquises inter-insulaires. Là, elle prend goût à la navigation et devient experte dans le maniement et la fabrication des petites embarcations de chasse analogues aux kayaks té-restres.
Lorsqu'elle tue son premier phoque-loup*, elle déclenche une petite révolution sur la banquise, car elle est la première femme à le faire.
Elle reçoit l'emblème des chasseurs, une dent entière de l'animal façonnée en bijou d'oreille, et son nom d'homme, Ea-Fli-Ea-Miri* gravé sur un couteau d'ivoire.
Son nouveau statut de chasseur lui impose aussi de prendre époux dans la communauté, ce qu'elle fait sans a priori et avec beaucoup d'émotion.
Un peu avant la fin du long hiver solien, elle mène un raid de quatre traîneaux en direction du pôle sud. Elle doit abandonner son projet à environ 300 kilomètres du pôle, car la Mer Polaire n'est pas prise dans les glaces et elle n'a pas emporté d'embarcation.
Lors de l'hiver suivant, elle emmène la même équipe (ses jeunes époux) dans un raid maritime vers les pays chauds. Longeant les côtes en kayak, traversant les bras de mer, ils parviennent à rejoindre Êta puis Delta.
Là, ils séjournent plusieurs mois chez les nomades du désert, puis ils traversent la frange forestière pour retrouver la côte nord et reprendre la mer en direction d'Êta.
De retour à la banquise après deux ans d'absence, Klagget intègre à son noyau familial trois jeunes co-épouses. Les enfants arrivent et c'est le bonheur.
Trois ans passent ainsi, mais la mort accidentelle de son plus jeune époux la pousse à quitter le groupe et à repartir à l'aventure, seule cette fois.
Longeant Êta par l'est, puis passant d'île en île, elle aborde Bêta. Elle pense caboter jusqu'à l'Antipode et traverser la forêt équatoriale pour voir de près la cuvette.
Malheureusement, elle fait une mauvaise chute dans la forêt et se fracture l'épaule. Elle est contrainte de planter sa balise et de rentrer à PK (8 décembre T 984). Lorsqu'elle arrive, elle est inconsciente, sa fracture s'est infectée, en raison du manque de soins, car son retour en navette a apparemment duré une dizaine de jours. Le chirurgien qui l'opère doit lui poser une prothèse intra-osseuse métallique.
Ce qu'elle avait placé en consigne couvre tout juste ses frais médicaux, et elle doit faire appel à une association humanitaire pour se faire rapatrier sur Té-ra.
Elle trouve cependant des fonds pour se faire opérer et placer une coûteuse fibro-prothèse plastorganique, puis débarquer une nouvelle fois à PK, en octobre T 988, toute équipée et prête à retourner dans le "vert".
Malgré sa nouvelle prothèse, elle ne parvient pas à partir. Elle achète une deuxième balise 4-dim sans plus de succès. Une analyse médicale montre que le titane (parfois surnommé "le métal nymphomane") contenu dans sa première prothèse a diffusé dans ses os. Cela lui interdit le passage dans les navettes.
Elle disparaît alors de la vie publique, assez mystérieusement. Seuls quelques initiés ou soliophiles se souviennent de son nom, même si son visage est plus connu.
Coup de théâtre en 1060 : à 136 ans, la doyenne des té-riens meurt. En lisant son testament, le notaire apprend avec stupeur qu'elle vit sur Té-ra sous un nom d'emprunt depuis 1027, et qu'elle était en fait Stéfanie Klagget.
Conformément à ses dernières volontés, on publie son journal, un document incroyablement détaillé qui couvre une période de 70 ans. Son journal commence par sa rencontre dramatique avec Sahad Klutter et la période où elle partageait effectivement sa vie aventureuse. On y trouve aussi le compte-rendu étonnant de son voyage sur Solis, puis le récit de son amitié indéfectible avec la veuve recluse de Klutter, dans les enclaves du GEI* Degret-Blanchard, ces trente-neuf années pendant lesquelles elle monte en parallèle le GEI Klutter et enfin sa disparition à l'âge de 103 ans, après la mort de son amie, pour vivre clandestinement sur Té-ra.
Cette vielle dame avait coutume de dire à son entourage, qui trouvait ça drôle par politesse : «Une santé de fer, c'est bien, mais il n'y a rien de mieux que le titane».

Stéfanie Klagget
Mon premier phoque-loup ! | Je deviens un homme ! | Fiancée ou mariée ?


Le polyack, ou yack polaire, est un gros herbivore à longs poils, dont les pattes sont munies de sabots (voir "La faune solienne : le polyack"). Il sert d'animal de bât, de trait et même de selle. Les animaux dressés ne sont jamais parqués et peuvent retourner à l'état sauvage librement. On les distingue grâce à leur épilation nasale.
Le phoque-loup est un mammifère marin carnivore qui ressemble à un grand phoque té-restre muni d'un aileron dorsal. Les mâles atteignent 6 tonnes pour une longueur de 8 à 9 mètres (voir "La faune solienne : le phoque-loup").
La tête du mâle adulte porte deux excroissances colorées rappelant un peu les oreilles du loup, et ses mâchoires présentent chacune quatre dents externes mobiles (dents-moustaches), longues, fines et résistantes, capables d'atteindre les organes vitaux de ses proies à travers leur couche de graisse.
On l'appelle aussi "lion de mer solien".
Traduction d'après les lexiques van Hoost : Oeil-eau-oeil-ciel, soit vraisemblablement "Pleure en regardant le ciel".
Un GEI est un groupe ethnique/industriel, fondé sur quelques familles et la proche parenté, souvent centré sur une planète coloniale et ses environs.